Budget Rectificatif 2024 : un dernier rendez-vous manqué
8 Octobre 2024
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Le conseil national examinera à partir d'aujourd'hui le Budget Rectificatif 2024 en séances publiques. Ce Budget Rectificatif s’inscrit dans la logique de tous les précédents : même en période de recettes exceptionnelles, l'Etat dépense presque tout. Malheureusement, cette période faste touche aujourd'hui à sa fin, et globalement rien n'aura été mis de côté en prévision de la suite qui s'annonce difficile. Voici notre analyse.
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Préambule
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En préambule, il convient de rappeler que toutes les remarques concernant les documents budgétaires (voir ici) sont toujours d’actualité. Si la loi de clôture doit enfin bientôt voir le jour, le Gouvernement n’a malheureusement jamais donné suite à la demande de Monaco 2040 pour que le Fascicule Budgétaire (ou tout document permettant de comprendre la loi de budget ainsi que les séances publiques qui y sont dédiées) soit enfin public.
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Faits notables
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Les recettes et les dépenses ont évolué de la manière suivante entre le budget Réalisé de 2023, le Primitif 2024 et le Rectificatif 2024 :

Globalement :
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les recettes sont en hausse de +10% par rapport aux prévisions et de +2.5% par rapport à 2023
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les dépenses sont en hausse de +5.5% par rapport aux prévisions et de +4.5% par rapport à 2023
Pour comprendre ces évolutions importantes, regardons plus en détail l’évolution des recettes et dépenses.
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Côté recettes
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Pour comprendre ces chiffres de recettes, on propose de comparer l’écart entre :
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les recettes du BR 2024 et celles prévues au Primitif 2024 : ça permet de comprendre ce qu’il s’est passé au cours de l’année 2024 entre ce qui était prévu et ce qui s'est réellement produit
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les recettes du BR 2024 et celles réalisées en 2023 : ça permet de comprendre comment ont réellement évolué chaque recette entre 2023 et 2024
Le graphique suivant résume toutes ces données (en gris les écarts par rapport au Primitif 2024 et en couleurs les écarts par rapport au Réalisé 2023) :

On voit immédiatement que :
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L’écart entre la prévision et le réalisé pour 2024 (les barres grises) est très important pour les bénéfices commerciaux (+95M€) : les banques ont fait des bénéfices bien plus importants que prévus en 2023 (l’ISB a quasiment doublé en 3 ans !)
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Par rapport à 2023 (les barres colorées) :​
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Le domaine immobilier est en forte baisse (-53M€) : cela s’explique par le fait qu’en 2023 l’Etat a perçu une tranche de 100M€ de la soulte de l’extension en mer, alors qu’en 2024 la tranche reçue, qui d’ailleurs est la dernière, n’était "que" de 60M€
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La TVA est en baisse : bien sûr le chiffre (-8M€) n’a aucune importance, contrairement au symbole car cela n’était pas arrivé depuis la grande crise financière de 2008
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Côté dépenses
Pour comprendre ces chiffres de dépenses, on propose la même démarche que pour les recettes. Le graphique suivant résume toutes les données utiles :

On voit immédiatement que :
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Par rapport aux prévisions (les barres grises) :
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Dans tous les domaines (hors services publics) l’Etat a dépensé beaucoup plus que ce qu’il avait prévu de faire (les barres grises sont positives), ce qui n’a été possible que parce que les recettes ont été meilleures que prévues
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En particulier les dépenses d’équipement et d’investissement ont été significativement augmentées (+80M€) à la suite d’un provisionnement de dépenses pour le nouveau CHPG (+90M€) et d’un rachat de bien au FRC (+70M€), ce qui est d'autant plus marquant que des dépenses (64M€) initialement prévues sur le projet d’ilot Charles III ont été repoussées, limitant de manière temporaire cette hausse substantielle des dépenses d'équipement
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Par rapport à 2023 (les barres colorées) :
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Toutes les dépenses augmentent significativement à l’exception des dépenses d’équipement et d’investissement
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Le coût annuel de la retraite des fonctionnaires passe de 97M€ en 2023 à 108M€ en 2024 : comme anticipé (voir ici), nous sommes entrés dans une phase d'accélération des dépenses de retraites depuis quelques années jusqu’à ce que la pyramide des âges se stabilise (autour de 2040), sans que ces dépenses futures ne soient toujours provisionnées :​​
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Analyse
L’Etat dépense presque tout
Malgré des recettes ordinaires en nette hausse (notamment par rapport aux bénéfices exceptionnels des banques ces dernières années), l’inclusion de recettes exceptionnelles (tranche de 60M€ de la soulte liée à l’extension en mer) et un décalage de certaines grandes dépenses d’équipement, l’Etat aura au final presque tout dépensé en 2024. En effet, l’excédent projeté n’est que de 80M€ c’est-à-dire 3.5% des recettes (dans les années 1980 ce taux d’épargne dépassait régulièrement les 15%). Si l’Etat ne met pas beaucoup d’argent de côté dans les années où les recettes sont exceptionnelles comme en 2024, quand le fait-il ?
En réalité, l’Etat n'épargne plus depuis le début du siècle. Entre 2001 et aujourd’hui, l’Etat n’a au global rien mis de côté, ce sont au contraire 57M€ qui auront au total été prélevés dans les réserves (le FRC) auxquels il faut ajouter les 443M€ issus de la vente des actions de la SBM au FRC, soit un prélèvement global au FRC d’environ 500M€, ceci malgré les recettes exceptionnelles de l’extension en mer que l’on peut estimer à plus d’1Mds€ (ci-dessous l'évolution du résultat budgétaire annuel réel, sans tenir compte de l'artifice comptable des actions de la SBM):

On imagine ce qu'auraient été les excédents budgétaires des dernières années sans les recettes exceptionnelles de l'extension en mer qui ont sans doute largement dépassé le milliard €.
La partie liquide du FRC stagne depuis 20 ans
Le fait que l’Etat dépense tout lorsque les recettes sont meilleures qu’attendues et prélève au FRC dans le cas contraire, se traduit par le fait que la valeur de la partie réellement liquide du FRC (c'est à dire la partie liquide du FRC à laquelle on retire le canton pour la retraite des fonctionnaires qui n'est par définition pas liquide pour le Budget) ne grossit plus du tout depuis le début du siècle, tandis que dans le même temps les dépenses annuelles croissent à un rythme exponentiel :

C’est un peu comme si, malgré les recettes exceptionnelles de l’Etat, une bonne partie de la performance financière de la partie liquide du FRC (investie à 100% dans les marchés financiers) avait été utilisée pour combler les déficits récurrents au lieu d’être capitalisée et épargnée en prévision des mauvais jours. Rappelons que sur les 20 dernières années une stratégie financière de type "70/30" (soit 70% en obligations et 30% en actions ce qui pourrait correspondre à la stratégie de gestion suivie par le FRC) aurait à peu près doublé de valeur, tandis que la partie réellement liquide du FRC n’a en réalité que stagné sur cette période.
Les indicateurs courants de finances publiques continuent de décliner
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Cette stagnation des réserves et cette hausse exponentielle des dépenses font que le ratio « partie liquide du FRC / Dépenses annuelles », qui représente le nombre d’années de dépenses contenues dans la partie liquide du FRC et qui est fréquemment mentionné, poursuit globalement un lent déclin initié au début du siècle. Seules les recettes exceptionnelles liées à l’extension en mer auront permis de mettre en pause ce déclin, mais elles appartiendront bientôt au passé lorsque la TVA immobilière de l’extension en mer sera totalement encaissée :

Aujourd'hui, la partie réellement liquide du FRC contient tout juste un an de dépenses de l'Etat. Pour interrompre ce déclin, une augmentation de la partie liquide du FRC ou une moindre croissance (voire décroissance) des dépenses (en particulier des dépenses d’équipement) est inévitable. Le Rectificatif 2024 semble aller dans ce sens (on observe une possible inflexion de l'indicateur en 2024) par une baisse des dépenses d’équipement (même si cette baisse n'est pas structurelle puisqu’elle résulte d'un décalage de travaux) et une partie liquide du FRC boostée par la bonne performance des marchés financiers en 2024. Pour augmenter la sécurité financière du pays malmenée ces 2 dernières décennies (en ramenant l'indicateur à des niveaux élevés), il faudrait donc que les budgets suivants ainsi que les marchés financiers aillent également dans ce sens ce qui, compte tenu de l’observation faite précédemment paraît difficile à réaliser, l’Etat étant déjà engagé dans de longs et coûteux projets qu’il est difficile de réviser à la baisse et les marchés financiers n'offrant pas toujours les mêmes performances qu'en 2023/24.
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Mais cet indicateur ne reflète que le passé et le présent des finances publiques, il ne prend pas en compte l’avenir, en particulier les dépenses futures dont les montants sont déjà très élevés et/ou ne font qu’augmenter, par exemple :
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nouveau CHPG
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future usine de traitement des déchets
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nouveau Centre Commercial de Fontvieille
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retraite des fonctionnaires qui augmente de 5%/an faute de gestion actif/passif du sujet
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logement des Monégasques qui augmentera significativement lorsque l’Etat n’aura plus aucun terrain disponible (soit après Annonciade II)
Pour tenir compte de ces dépenses futures, dont les montants seront réévalués (sans doute à la hausse) par le plan triennal d'équipement du Budget Primitif 2024, on peut observer le ratio suivant qui indique dans quelle proportion les réserves de l’Etat pourraient financer les dépenses d’équipement des 3 prochaines années (sur la base du plan triennal d’équipement) :

Avec des réserves qui stagnent voire diminuent depuis 20 ans et des dépenses d’équipement qui croissent rapidement, ce ratio est lui aussi sur le déclin, passant de 300% à moins de 100% en une dizaine d’années.
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Conclusion
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Malgré des recettes en hausse exceptionnelle de 10% en 2024 par rapport aux prévisions, l'Etat aura finalement presque tout dépensé. 2024 est à l'image de ce qu'il se passe depuis le début du siècle : alors que les recettes ont globalement triplé, ce qui est déjà remarquable, l'Etat a dépensé encore plus, prélevant environ 500M€ dans les réserves de l'Etat. Cela a conduit à ce que ces réserves passent d'environ 4 années de dépenses annuelles à une année seulement en l'espace de 20 ans.
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Les projets d'équipement actuels de l'Etat (nouveau CHPG, nouvelle usine de traitement des déchets, nouveau Centre commercial Fontvieille) étant déjà très couteux et bientôt probablement réévalués à la hausse, le coût de la retraite des fonctionnaires n'étant toujours pas provisionnée alors qu'on entre dans une phase particulièrement coûteuse, le coût du logement des Monégasques étant amené à croitre de manière explosive après Annonciade II sans faire l'objet d'un quelconque provisionnement, nous nous demandons comment tout cela pourra être financé par des recettes par nature incertaines et ne pouvant bénéficier de la croissance consécutive à un accord d'association avec l'UE, au risque de devoir à nouveau prélever dans le FRC.
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Comptablement, 2024 semblait marquer un tournant puisque les dépenses d'équipement inscrites au Primitif 2024 étaient globalement en forte baisse, même si ces baisses résultaient essentiellement d'un report des dépenses. Malheureusement, ces prévisions ne se sont pas réalisées, l'Etat ayant dépensé bien plus que prévu en 2024, ce qui a considérablement réduit l'épargne possible en cette fin de période de recettes exceptionnelles liées à l'extension en mer. Cette phase de recettes exceptionnelles est aujourd'hui en train de se refermer.
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Des projections, des perspectives et des actions sont donc aujourd'hui nécessaires pour faire face à ce constat et enrayer le déclin des indicateurs traditionnels de finances publiques. Pour cela, il n'y a pas beaucoup d'alternative, la plus naturelle consistant à faire du FRC le garant du modèle économique et social de Monaco (voir ici), afin de sécuriser la souveraineté du pays.