Budget Primitif 2024 : à quand un FRC garant de notre modèle ?
30 Janvier 2024
Le 12 décembre dernier nous publiions notre analyse du Budget Primitif 2024 (voir ici). Le plan triennal d'équipement n'ayant été rendu public qu'après le vote de la loi (au Journal Officiel), nous complétons donc ici notre analyse initiale avec les données contenues dans cette annexe de la loi de budget.
Préambule
En préambule, il convient de rappeler que toutes les remarques concernant les documents budgétaires (voir ici) sont toujours d’actualité. En effet, le Gouvernement n’a malheureusement jamais donné suite à la demande de Monaco 2040 pour que le Fascicule Budgétaire (ou tout document permettant de comprendre la loi de budget ainsi que les séances publiques qui y sont dédiées) soit enfin public.
Faits notables
Budget annuel 2024
D’une manière générale, les recettes et les dépenses ont significativement diminué (-7% pour les recettes, -6% pour les dépenses) entre les Budgets Rectificatif 2023 et Primitif 2024, le budget 2024 étant d’ailleurs présenté en déficit de -15M€ :
Pour comprendre ces évolutions importantes, regardons plus en détail l’évolution des recettes et dépenses.
Côté recettes
Par rapport au Budget Rectificatif 2023, les recettes du Budget Primitif 2024 ont évolué de la manière suivante :
Les principaux écarts entre Primitif 2024 et Rectificatif 2023 sont les suivants :
-
Domaine immobilier : au Primitif 2024 l’Etat perçoit la dernière tranche de la soulte de l’extension de 60M€ (contre 100M€ en 2023) et ne perçoit plus rien de la décomposition du troc de Testimonio II : ces deux effets contribuent à une baisse des recettes du domaine immobilier de -96M€ en 2024
-
Transactions commerciales (TVA) : l’Etat anticipe une baisse de -54M€ de TVA en 2024, mais nous n’en connaissons pas les raisons (baisse de l’activité due au contexte international ou à l’action des banques centrales, baisse des ventes d’appartements neufs etc. ?)
Côté dépenses
Par rapport au Budget Rectificatif 2023, les dépenses du Budget Primitif 2024 ont évolué de la manière suivante :
Les principaux écarts entre Primitif 2024 et Rectificatif 2023 sont les suivants :
-
Equipement et investissement : c’est le poste de dépenses qui a subi la plus grosse baisse (-175M€). Pour expliquer cette baisse, le plus naturel consiste à comparer les dépenses d’équipement du Primitif 2024 avec celles qui étaient prévues au plan triennal d’équipement du Primitif 2023 pour l’année 2024 :
-
forte hausse des dépenses des grands travaux d’urbanisme (+90M€) due essentiellement à la provision pour les travaux liés aux Jardins d’Apolline et de Hélios
-
hausse des dépenses d’équipement administratif (+37M€) due à la surélévation du bâtiment de la Sécurité Publique et à la rénovation générale des bâtiments publics
-
importante baisse des dépenses d’équipement urbain (-40M€) due au décalage des travaux du CTVD (Centre de traitement et de valorisation des déchets)
-
importante baisse des dépenses d’équipement industriel et commerce (-45M€) due au décalage des travaux concernant le nouveau Centre Commercial de Fontvieille
-
importante baisse des dépenses d’investissement (-55M€) due essentiellement à l’importante baisse inattendue de la provision pour le nouveau CHPG (-40M€) et à l’absence de rachats au FRC (-10M€)
-
importante baisse des dépenses d’équipement sanitaire et social (-63M€) due essentiellement au décalage des chantiers du Bel Air (-45M€) et des Lierres-Nathalie (-45M€) et aux travaux du Larvotto Supérieur (+30M€) non prévues au Plan triennal d’équipement de 2023
En résumé : certaines dépenses importantes sont repoussées (moins de provisions pour les dépenses futures d’équipement, décalage de certains gros chantiers) et certains projets d’équipement sont revus à la baisse car trop coûteux
-
D’une manière générale, les estimations élevées d’inflation contribuent à l’augmentation de la plupart des dépenses
-
Comme attendu les dépenses de retraite des fonctionnaires continuent de croitre à un rythme important et s’élèvent à 106M€ en 2024, franchissant pour la première fois la barre des 100M€, ce qui doit susciter quelques inquiétudes puisqu’en l’absence de gestion actif/passif du sujet (voir ici) le problème de la retraite des fonctionnaires n’en est qu’à ses débuts
Plan triennal d’équipement
Le plan triennal du Budget Primitif 2024 liste les prévisions des principales dépenses d’équipement et d’investissement pour les prochaines années. On y retrouve les principaux projets d’équipement, comme le nouveau CHPG, le centre de tri et de valorisation des déchets, les grands programmes immobiliers publics (Grand Ida, Bel Air etc.), les programmes d’urbanisation (ilôts Pasteur et Charles III), restructuration du centre commercial de Fontvieille etc.
Par rapport au plan triennal du Budget Primitif 2023, tous les projets les plus coûteux ont vu leurs coûts globaux augmenter significativement :
Projet | Coût global 2023 | Coût global 2024 | Variation |
---|---|---|---|
Protection du littoral | 54 | ||
Voie piétonne Bd de Belgique | 68 | ||
Le Mas Honoria | 107 | 107 | 0% |
Extension Villa Sauber | 125 | ||
Extension Forum Grimaldi | 128 | 130 | +2% |
Cap Fleuri | 195 | 210 | +8% |
Entrée de ville Jardin Exotique | 243 | 263 | +8% |
Bel Air | 345 | 363 | +5% |
Stade Louis II | 370 | 400 | +8% |
Centre commercial Fontvieille | 400 | 400 | +0% |
Grand Ida | 400 | 420 | +5% |
Ilot Pasteur | 564 | 626 | +11% |
CTVD | 592 | 654 | +10% |
Testimonio II | 591 | 677 | +15% |
Ilot Charles III | 755 | 817 | +8% |
Nouveau CHPG | 1113 | 1250 | +12% |
Le milliard est largement dépassé pour le Nouveau CHPG, le côté "valorisation" du centre de valorisation et de traitement des déchets a augmenté significativement le coût de la solution dont l'augmentation n'est probablement pas terminée, l'extension de la Villa Sauber, la voie piétonne Bd de Belgique et la protection du littoral font également leur entrée. On remarque par ailleurs que le projet de l'esplanade des Pêcheurs, dont le montant doit pourtant avoisinner les 500M€ ne figure pas au triennal.
Malgré toutes ces hausses de dépenses d'équipement, le "reste à payer" marque enfin une pause, passant de 5.079M€ au Budget Primitif 2023 à 5.053M€ au Budget Primitif 2024 après un certain nombre d'années de hausse continue :
Analyse
L’Etat continue de tout dépenser alors que la période de recettes exceptionnelles touche à sa fin
Côté recettes, entre la TVA immobilière et la soulte issues de l’extension en mer, la période de recettes exceptionnelles pour l’Etat se poursuivra encore en 2024 (mais guère au-delà). Malgré cela, l’Etat prévoit une baisse globale des recettes en 2024 due à un net ralentissement de l’activité. Côté dépenses, l’année 2024 est prévue pour être plus sobre que ce qui était programmé, la plupart des dépenses d’équipement étant revues à la baisse (moins de provision pour les dépenses futures, décalage ou révision à la baisse des grands projets d’équipement). Au final, comme habituellement ces dernières années, l’Etat prévoit de ne rien épargner alors que 2024 est une des dernières années (peut-être même la dernière) de recettes exceptionnelles.
On pourrait s’en étonner, mais en réalité 2024 n’a rien d’exceptionnel, l’Etat n’épargne quasiment plus depuis le début du siècle. Entre 2000 et ce que l’Etat anticipe en 2024, au global rien n’aura été mis de côté, ce sont au contraire 235M€ qui auront été prélevés dans les réserves (le FRC) auquel il faut ajouter les 443M€ supplémentaires prélevés au FRC pour racheter au Budget les actions de la SBM afin d'augmenter artificiellement le résultat budgétaire annuel de l'Etat des années 2019, 2020 et 2021, soit un prélèvement global au FRC d’environ 680M€ (ci-dessous l'évolution du résultat budgétaire annuel réel, sans tenir compte de l'artifice comptable des actions de la SBM):
Analysons à présent comment ces observations se traduisent dans l’évolution de la partie réellement liquide du FRC.
[Cette analyse sera complétée et possiblement modifiée lors de la publication du plan triennal d’équipement ]
La partie liquide du FRC stagne depuis 20 ans
Le fait que l’Etat dépense tout lorsque les recettes sont meilleures qu’attendues et prélève au FRC dans le cas contraire pour financer toutes les dépenses, se traduit par le fait que la valeur de la partie réellement liquide du FRC ne grossit plus du tout depuis le début du siècle (elle est aujourd’hui identique à ce qu’elle était il y a 20 ans), tandis que dans le même temps les dépenses annuelles croissent globalement à un rythme exponentiel :
C’est un peu comme si, malgré les recettes exceptionnelles de l’Etat, une bonne partie de la performance financière de la partie liquide du FRC (investie à 100% dans les marchés financiers) avait été utilisée pour combler les déficits récurrents au lieu d’être capitalisée et épargnée en prévision des mauvais jours. Rappelons que sur les 20 dernières années une stratégie financière de type "70/30" (soit 70% en obligations et 30% en actions ce qui pourrait correspondre à la stratégie de gestion suivie par le FRC) aurait à peu près doublé de valeur, tandis que la partie réellement liquide du FRC n’a en réalité que stagné sur cette période.
Le déclin des indicateurs courants de finances publiques marque une pause
Cette stagnation des réserves et cette hausse exponentielle des dépenses font que le ratio « partie liquide du FRC / Dépenses annuelles », qui représente le nombre d’années de dépenses contenues dans la partie liquide du FRC et qui est fréquemment mentionné par les pouvoirs publics, a poursuivi un lent déclin depuis le début du siècle :
Pour interrompre ce déclin, une augmentation de la partie liquide du FRC ou une moindre croissance (voire décroissance) des dépenses (en particulier des dépenses d’équipement) est inévitable. Le Primitif 2024 semble aller dans ce sens (on observe une possible inflexion de l'indicateur en 2024) par une baisse des dépenses d’équipement (même si cette baisse est nécessairement temporaire puisqu’elle résulte pour une grande part en une baisse des provisions pour les dépenses futures et un décalage de travaux) et une partie liquide du FRC boostée par la bonne performance des marchés financiers en 2023. Pour augmenter la sécurité financière du pays malmenée ces 2 dernières décennies (en ramenant l'indicateur à des niveaux élevés), il faudrait donc que les budgets suivants ainsi que les marchés financiers aillent également dans ce sens ce qui, compte tenu de l’observation faite précédemment paraît difficile à réaliser, l’Etat étant déjà engagé dans de longs et couteux projets qu’il est difficile de réviser à la baisse et les marchés financiers n'offrant pas toujours les mêmes performances qu'en 2023.
Cet indicateur ne reflète toutefois que le passé et le présent des finances publiques. Il ne prend pas en compte l’avenir, en particulier les dépenses futures au-delà de 2024 et dont les montants sont déjà très élevés et/ou ne font qu’augmenter, par exemple :
-
nouveau CHPG
-
CTVD
-
nouveau Centre Commercial de Fontvieille
-
retraite des fonctionnaires qui augmente de 5%/an faute de gestion actif/passif
-
logement des Monégasques qui augmentera significativement une fois que l’Etat n’aura plus aucun terrain disponible (après Annonciade II donc)
Pour le prendre en compte, ne serait-ce que partiellement, on peut par exemple observer le ratio suivant qui indique dans quelle proportion les réserves de l’Etat pourraient financer les dépenses d’équipement des 3 prochaines années (sur la base du plan triennal d’équipement). Cet indicateur est lui aussi en déclin depuis une dizaine d'années, même s'il semble marquer une pause :
Avec des réserves qui stagnent voire réduisent depuis 20 ans et des dépenses d’équipement qui croissent rapidement, ce ratio est lui aussi sur le déclin, passant de 300% à moins de 100% en une dizaine d’années.
Projections à court terme du FRC
Des simulations à court terme de la partie liquide du FRC peuvent être réalisées (voir ici). Hors événement exceptionnel, ces simulations permettent d’estimer les quantiles x% de la valeur de la partie liquide à un horizon donné, 1 an ou 3 ans (rappelons que le quantile x% d’une variable aléatoire Y est la quantité q telle que dans x% des cas la valeur Y est inférieure à q). Les quantiles permettent de quantifier les valeurs extrêmes de la partie liquide du FRC hors événement exceptionnel. On propose dans la suite d’examiner les quantiles 5% et 95%. Les calculs étant systématiques, on peut recalculer la valeur de ces quantiles dans le passé pour un horizon de 1 an :
Pour bien comprendre ce graphique, prenons par exemple l’année 2023 :
-
le losange bleu correspond à la valeur de la partie réellement liquide du FRC à fin 2023
-
le carré gris correspond à la valeur médiane des simulations faites fin 2022 de la partie réellement liquide du FRC à fin 2023
-
l’extrémité supérieure du segment gris correspond au quantile 95% de ces simulations et l’extrémité inférieure au quantile 5%
On voit que le losange bleu est dans la partie haute de l'intervalle de confiance (c'est historiquement assez rare), à la faveur des très bonnes performances des marchés financiers en 2023 par rapport aux hypothèses de long terme faites par l'outil de simulation. Les projections à fin 2024 semblent également favorables.
Le même exercice peut être réalisé avec un horizon de 3 ans :
On voit ici au contraire que le losange bleu de 2023 est dans la partie basse de l'intervalle de confiance (c'est presque toujours le cas), la valeur de la partie réellement liquide à fin 2023 est dans la partie basse des projections faites fin 2020 pour l'année 2023. Cela résulte notamment du fait que la partie réellement liquide du FRC a été prélevée du montant des transferts des actions de la SBM entre le Budget et le FRC entre 2020 et 2023. On voit également que l'année 2025 peut être une année difficile, l'intervalle de confiance pour cette année-là n'ayant jamais été aussi bas ces 20 dernières années (cela résulte du niveau élevé de dépenses d'équipement prévues en 2025).
Conclusion
Malgré une période de recettes exceptionnelles générées par l'extension en mer qui touche à sa fin, l'Etat aura finalement dépensé bien plus que les recettes perçues ces dernières années. C'est plus largement ce que l'on constate depuis le début du siècle : alors que les recettes ont globalement triplé, ce qui est déjà remarquable, l'Etat a dépensé encore plus, prélevant environ 700M€ dans les réserves de l'Etat. Cela a conduit à ce que ces réserves passent d'environ 4 années de dépenses annuelles à seulement une année en l'espace de 20 ans.
Les projets d'équipement actuels de l'Etat (nouveau CHPG, CTVD, nouveau Centre commercial Fontvieille) étant déjà très coûteux et réévalués à nouveau à la hausse d'après le plan triennal d'équipement, le coût de la retraite des fonctionnaires n'étant toujours pas provisionné alors qu'on entre dans une phase particulièrement coûteuse, le coût du logement des Monégasques étant amené à croitre de manière explosive après Annonciade II sans faire l'objet d'un quelconque provisionnement, nous nous demandons comment tout cela pourra être financé par des recettes par nature incertaines et ne pouvant bénéficier d'une croissance future consécutive à un accord d'association avec l'UE, au risque de devoir à nouveau prélever dans le FRC.
Comptablement, 2024 semble marquer un tournant puisque d'une part les dépenses d'équipement sont globalement en forte baisse même si cet effet résulte avant tout d'un report des dépenses et d'autre part les dépenses futures inscrites au plan triennal d'équipement marquent le pas après avoir plus que doublé en 5 ans. Ce nécessaire freinage des dépenses est sans aucun doute lié au fait que les recettes cesseront bientôt d'être exceptionnelles en raison de la fin du projet d'extension en mer. Mais, faute de gestion actif/passif du FRC (ou du résultat budgétaire futur de l'Etat), rien ne garantit que tout cela soit suffisant, ni que cela ne soit pas excessif.
Des projections et des perspectives sont donc aujourd'hui nécessaires pour sécuriser l'avenir des finances publiques. Pour cela, il n'y a pas beaucoup d'alternative, la plus naturelle consistant à faire du FRC le garant du modèle économique et social de Monaco (voir ici), afin d'assurer la souveraineté du pays.